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souffrant et en expiant.»
Pour en finir avec l'adhésion complète que je donne à vos décisions, je
vous dirai qu'en effet cet amour que j'_édifie_ et que je couronne sur
les ruines de l'_infâme_ est mon utopie, mon rêve, ma poésie. Cet amour
est grand, noble, beau, volontaire, éternel; mais cet amour, c'est le
mariage tel que l'a fait Jésus, tel que que l'a expliqué saint Paul, tel
encore, si vous voulez, que le chapitre VI du titre V du Code civil en
exprime les devoirs réciproques. Celui-là, je le demande à la société
comme une innovation ou comme une institution perdue dans la nuit des
temps, qu'il serait bien opportun de faire revivre, de tirer de la
poussière des siècles et de la fange des habitudes, si l'on veut voir
succéder la véritable fidélité conjugale, le véritable repos et la
véritable sainteté de la famille à l'espèce de contrat honteux et de
despotisme stupide qu'a engendrés l'infâme décrépitude du monde.
Mais vous, monsieur, qui jugez de si haut cette question sociale, vous
philosophe indulgent, moraliste sensible et fort, qui ne croyez point au
danger des livres réputés _immoraux_, pourquoi en écrivant, à propos de
moi, ces trois ou quatre belles pages sur la morale publique, avez-vous
perdu une si bonne occasion de gourmander l'esprit de cupidité, les
habitudes de débauche et de violence qui de la part de l'homme
autorisent ou provoquent les crimes de la femme dans un si grand nombre
d'unions? N'eussiez-vous pas rempli d'une manière plus complète le
devoir que vous vous êtes imposé envers la société, si vous vous fussiez
prononcé avec force en faveur de cette antique morale chrétienne qui
prescrit la douceur et la chasteté au chef de la famille? Il n'est pas
question ici de cas d'exception, d'_unions mal assorties_. Toutes les
unions possibles seront intolérables tant qu'il y aura dans la coutume
une indulgence illimitée pour les erreurs d'un sexe, tandis que
l'austère et salutaire rigueur du passé subsistera uniquement pour
réprimer et condamner celles de l'autre. Je sais bien qu'il y a un
certain courage à oser dire en face à toute une génération qu'elle est
injuste et corrompue. Je sais bien qu'à écrire tout ce qu'on pense on se
fait beaucoup d'ennemis parmi ceux qui se trouvent bien des vices du
temps, et qu'on doit s'attendre, quand on a eu cette franchise, à subir
pendant le reste de ses jours une persécution qui ne s'arrêtera pas
devant le seuil de la vie privée; mais je sais aussi que lorsque
certaines femmes ont eu ce courage, il ne serait pas indigne d'un homme,
et surtout d'un homme de conscience et de talent, de faire grâce à ce
qu'il y a de manqué dans leurs efforts, de donner assistance et
protection à ce qui peut s'y rencontrer de brave et de sincère.
Si vous aviez vécu au temps où _Tartufe_ fut persécuté comme une
œuvre d'impiété, vous eussiez été de ceux qui, bien loin de se
constituer les champions de l'hypocrisie, résistèrent, de toute la
puissance de leur conviction et de toute la pureté de leur cœur, aux
sournoises interprétations de la critique; vous eussiez écrit et signé
de votre propre sang, alors comme aujourd'hui, que la pensée qui
produisit le _Tartufe_ fut une pensée éminemment pieuse et honnête, que
Dieu n'est pas attaqué dans la personne d'un cagot, que la paix et la
dignité des familles ne sont pas compromises quand on en chasse
d'infâmes intrigants. Il est vrai que _Tartufe_ est un chef-d'œuvre,
et qu'il mérite toutes les sympathies des âmes élevées, et comme sujet
et comme exécution.
Mais si la plume de tels écrivains est à jamais brisée, si les
vigoureuses couleurs des grands siècles sont perdues, si au lieu
d'Aristophane, de Térence et de Molière, il ne nous reste plus que
George Sand et compagnie, l'éternelle infirmité humaine n'en est pas
moins encore, sous les yeux du philosophe critique, saignante, lépreuse,
digne d'horreur et de compassion. L'éternel rêve des cœurs simples,
la _justice_, n'en est pas moins debout (au loin, il est vrai), mais
radieux, mais nécessaire, mais appelant à soi tous les efforts et tous
les désirs. Réduits à juger de pâles compositions, ne serait-ce pas,
messieurs, une raison de plus pour vous autres de vous en prendre au
fond des choses, et d'épargner l'apôtre pour encourager le principe?
C'est ainsi que vous suppléeriez à l'insuffisance de nos moyens, et que
vous restitueriez au siècle ce qui lui manque en force et en génie.
Il me reste à vous remercier, monsieur, pour les bons conseils que vous
m'avez donnés. Je m'accuse, je le répète; car si vous ne m'avez pas
toujours bien compris, c'est ma faute et non la vôtre. L'homme qui
contemple une bataille du haut de la montagne juge mieux des fautes et
des pertes des armées que celui qui marche dans la poussière et dans
l'enivrement du combat. Ainsi le critique sans passion en sait plus long
sur l'artiste bouillant et sur son travail que l'artiste lui-même.
Socrate avait souvent occasion de dire à ses disciples: «Vous alliez me
définir la science, et vous m'avez défini la musique et la danse; ce
n'est pas là ce que je vous demandais, et ce n'est pas là ce que vous
vouliez me répondre.»
FIN.
NOTES:
[A] La première édition de cet ouvrage formait deux volumes.
[B] Robert n'a pas représenté, dans son beau tableau des _Pêcheurs
vénitiens_, un seul individu de la race pure indigène. Il a été à
Chioggia, il a fait poser des Chioggiotes, et il nous a montré des
échantillons d'une très-belle race, forte, maigre, brune, grave, et
nullement vénitienne. Cette presqu'île de Chioggia, voisine de Venise,
est habitée par une colonie d'origine grecque, asiatique peut-être. Ils
se marient entre eux, et mêlent fort rarement leur sang à celui de la
population vénitienne.
[C] Le _stali_ des gondoliers, qui est, je crois, un reste de la langue
franque que parlaient les gondoliers turcs, à la mode autrefois à