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La mère qui n’allaite pas son enfant peut plus rapidement devenir à nouveau enceinte.
Signalons cependant que le nombre de naissances par famille était aussi fonction de la capacité de l’épouse à supporter l’accouchement, lequel n’était pas sans danger pour la mère.
De nombreuses femmes décédèrent en couches ou de ses suites.
Parmi ces infortunées : « Francoise Le Guiader femme Martin Le Scouarnec » morte à l’âge de 33 ans le 19 avril 1639 « en peine d’un second enfant aiant asse heureusement accouché du premier » , Marie Guegan décédée le 12 mars 1643 « en peine d’enfant sans l’avoir peu mettre au monde » , Janne Guernarpin morte « subitement en travail d’enfant » à l’âge de 31 ans en décembre 1652 et Anne de la Bourdonnaye, 27 ans (épouse de Gilles du Boisgelin seigneur de la Garenne), qui « appres avoir acouchée heureusement » fut « surprise d’un transport qui [l’empêcha] de recevoir les sacrements de poenitence et communion » le 9 février 1683.
Les migrations contribuèrent également à accroître la natalité.
Outre l’implantation de nombreux Normands à Guingamp à l’extrême fin du xvi e siècle et au début du xvii e , il faut prendre en compte ces conjoints (plus souvent hommes que femmes), extérieurs à la cité, quittant leur paroisse de domicile pour s’établir dans celle de leur « moitié » au lendemain du mariage .
Cela représentait un apport non négligeable d’individus qui participaient au développement démographique de Guingamp.
On comprend dès lors mieux la bonne tenue d’ensemble de la natalité à Guingamp au xvii e siècle.
Toutefois, on observe un léger tassement du nombre des baptêmes à Notre-Dame après 1667, et même une courte phase de régression de 1678 à 1685.
Le rapport des moyennes annuelles de baptêmes entre 1641-1667 et 1681-1700 est de 1,02 ce qui signifie que la croissance de la natalité se poursuit mais à un rythme bien inférieur à celui relevé dans la première moitié du siècle.
On assiste même à un renversement de conjoncture au xviii e siècle, le rapport établi entre 1681-1700 et 1770-1789 se situant à 0,90.
Le mouvement d’expansion démographique prend donc fin vers 1670 et cède le pas à une période de stagnation continue jusqu’au moins 1789.
Il est vrai qu’au xviii e siècle, les accidents climatiques se multiplièrent, rendant les récoltes souvent insuffisantes , et que la politique extérieure belliqueuse de la France (notamment sous le règne de Louis XIV) favorisa le déclin d’activités économiques dynamiques (comme le textile), accentuant ainsi la paupérisation de la population.
Ces facteurs concoururent à assombrir le xviii e siècle jusqu’à le présenter comme une époque de recul par rapport au xvii e siècle.
Le sombre xviii e siècle : des crises à répétition Le siècle des Lumières se caractérise à Guingamp par un nombre impressionnant de crises agricoles et épidémiques qui, au lendemain de la plus meurtrière en 1741-1743, se succèdent à un rythme soutenu, alors que le mouvement annuel des baptêmes et plus encore celui des mariages témoignent d’une relative stabilité.
Ce sont là les signes tangibles d’une dégradation de l’économie qu’annonçait déjà la morosité des dernières années du xvii e siècle. 1701-1740 : un début de siècle difficile Les dernières années du règne de Louis XIV sont particulièrement difficiles.
La dysenterie apparaît fin 1707, peut-être à la faveur du passage d’une compagnie colonelle du régiment de Bellabre établie en quartier dans la cité à la fin septembre : une délibération du 6 octobre mentionne plusieurs dragons malades casernés dans la maison de Madame Desnoes, sur le bas martrait.
Le terrible hiver de 1709 fit quelques victimes et perturba les récoltes, provoquant « une cherté aggravée par les résultats d’un gel tardif et important » .
Le nombre des pauvres s’en trouva augmenté.
Les registres de délibérations sont étonnement discrets sur la situation, attestant seulement l’interdiction faite, le 18 décembre 1709, « à tout habitant et particulier de quelque condition et qualité qu’il soit de transporter aucun grain de blé » avant d’avoir assuré la fourniture de 200 sacs de froment et de seigle levés au profit des gens d’armes du roi.
Pourtant, la population ressentit les effets du grand hiver jusqu’en 1713.
Une nouvelle crise éclata en 1719 qui dura jusqu’en 1721.
La France est en guerre contre l’Espagne depuis le 9 janvier et Guingamp subit plus que jamais le passage des troupes armées.
La dysenterie survient en novembre et fait de nombreuses victimes (surtout parmi les jeunes enfants et les personnes âgées), décimant des familles ou les réduisant considérablement.
Il est possible que l’épidémie se soit greffée sur des difficultés frumentaires : en août-septembre 1720, les religieuses Hospitalières étaient surchargées de pauvres et devaient affronter la cherté des vivres nécessaires à leur subsistance .
Les deux hôpitaux de Guingamp – l’un tenu par les Hospitalières et pouvant « fournir a la depence de douze ou quinze pauvres » et l’autre, appelé Hôpital Général, d’une capacité d’accueil de « vingt ou vingt cinq petits pauvres » – étaient pleins et « touttes les eglises et touttes les rues […] pleines de mandiants de l’un et de l’autre sexe » .
Les forces vives de la population furent globalement peu touchées par la crise.
De janvier à mars 1730 et de mars à mai 1732, une maladie contagieuse, particulièrement virulente à l’égard des nourrissons et jeunes enfants de moins de dix ans, sévit à Guingamp.
Elle était sans doute latente depuis quelques années.
On peut se demander s’il ne s’agit pas à nouveau de la dysenterie, apparemment chronique dans les années 1730 : en novembre 1736, elle se faisait « sentir vivement à Guingamp, à Quimperlé, et aux environs » ; en octobre 1737, elle faisait « de grands progrès dans bien des endroits, et entr’autres à Guingamp et dans les campagnes voisines » où des maisons comptaient « jusqu’a six et sept malades » , et en octobre 1738 « plusieurs des habitans de » Guingamp étaient « infestés de ce vilain mal » .
On ne peut pas mettre en cause une quelconque insuffisance agricole, le prix du boisseau de froment allant diminuant de 1730 à 1733 ; des problèmes frumentaires (comme une disette) auraient au contraire provoqué une hausse du prix des grains.
Les quatre premières décennies du xviii e siècle ne ressemblent en rien à une période bénie pour la population guingampaise.
D’autant que la conjoncture économique d’ensemble s’est dégradée.
Les pauvres et les miséreux sont plus nombreux.
Il est vrai que l’activité textile, industrie « phare » en Bretagne, a perdu de sa superbe.
La décision prise en 1687 par le pouvoir monarchique de taxer lourdement les draps anglais (pour favoriser le développement de la draperie française) et, depuis 1689, les conflits armés incessants entre la France et l’Angleterre , ont conduit les Anglais à se tourner vers les toiles hollandaises et allemandes puis irlandaises .
De nombreuses familles d’artisans et d’ouvriers bretons ont ainsi été réduites à l’inactivité et à la pauvreté.
À Guingamp, la fabrication de la Berlinge, destinée à la clientèle locale et environnante (surtout populaire), était peu tributaire de la politique étrangère.
Mais plusieurs paroissiens travaillaient pour le compte de personnes jouant le rôle de fournisseurs auprès de marchands (de Morlaix et de Saint-Malo par exemple) qui commerçaient avec l’étranger et en particulier l’Angleterre.
Beaucoup se retrouvèrent donc sans travail ou subirent une perte de revenus non négligeable.
Ajoutons que la hausse de la fiscalité engendra une baisse du niveau de vie du petit peuple dont la capacité de résistance à la maladie diminua d’autant.
Un tel contexte entraîna un fort ralentissement de la croissance démographique et favorisa l’apparition de crises meurtrières, dont la plus grave intervient en 1741. 1741-1742 : le paroxysme C’est la plus grave crise démographique que durent affronter les Guingampais au xviii e siècle.
La maladie, associée à la disette, emporta indistinctement petits et grands.
Déjà au début de l’année 1741 les difficultés étaient réelles, la communauté de ville demandant à l’évêque de Tréguier « de permettre a la ville et feaubourgs de manger des oeuffs pour le caremes veüe la mechante années et la cheretté des vivres necessaires a la vie de l’homme » .
L’abbé de Rays, recteur de Notre-Dame, évoque pour sa part la « grande et extreme misere parmi le peuple » : « malgré toutes les precauptions qu’il [a] pris pour y porter quelque soulagement […] plus d’un tier de ses parroissiens [sont] à la veille de mourir de fain » .
Les « tailleurs, cordonniers, tessiers, fileurs de laine et autres de cette espece » , ainsi que « les veuves chargées de grands nombre d’enfans » , souffrent « le plus faute de trouver à travailler » .
La situation est telle que, depuis le début du mois de janvier, plusieurs ménages n’ont « consommé pour toute nouriture que du pain de son » .
Il commence aussi « a reigner beaucoup de maladies » , dont la dysenterie, favorisées par la misère qui touche alors « presque a son plus haut degré » partout en Bretagne.
Les rôles de capitation témoignent de l’ampleur des problèmes : l’ « estat des personnes hors d’estat de pouvoir payer leur capitation pour l’année mil sept cent quarante » à Guingamp mentionne entre 110 et 120 noms et les pauvres, « tant de la ville que des faubourg » , représentent en 1741 entre 90 et 100 personnes.
Cette forte proportion de démunis s’explique par « l’augmentation considerable » de la capitation « dans un tems ou la misere » est grande, au point que « la plus grande partyes [des] meilleurs ouvriers sont devenu des insolvables pour ne pas dire à la mandicittés » .
En 1741, les récoltes furent mauvaises : environ « un quart moins de fromens et meteils que l’année derniere [1740] qui avoit este bonne » , moitié moins d’avoines, d’orges, de pailles et de foins, pas de bons « mils et bleds noirs qui font la nourriture du paysan et du menu peuple » et des lins et chanvres « presque totalement manqués tant par les gelés que par les chaleurs » .
La disette favorisa l’apparition « des fievres putrides avec des delires epouvantables » .
Des malades succombaient à « des vomissements de sang » , certains à « la dissanterie » et d’autres étaient attaqués « de fievre et de dissenterie en même temps » .
À la mi-novembre 1741, on recense 167 malades alors que 61 personnes sont déjà mortes, surtout « des pauvres, qui n’ont ny bois ny vin ny linge pour se faire soigner » .
Nul n’était à l’abri, pas même les prisonniers dans leur geôle .
En décembre, la maladie atteignit son paroxysme, les pauvres malades étant « en si grand nombre que les persones aisées de la ville ne [pouvaient] suffire a fournir a leurs besoins » .
Au cours des mois de novembre-décembre 1741 et janvier 1742, qui correspondent au temps fort de la crise, la mort faucha petits et grands.
Les médecins eurent fort à faire entre les malades de la ville et ceux de la campagne alentour.
La communauté de ville fut tout aussi active, venant en aide aux malades qui, « attaques d’une maladie quy […] se communique fort aisement » , ne pouvaient être soignés et nourris à l’hôpital.
Apothicaires, chirurgiens, médecins et membres de la communauté de ville durent patienter jusqu’en juin 1742 pour enfin constater un début d’amélioration, confirmé par la suite .
L’orage était passé mais il avait été d’une grande violence : le nombre des sépultures enregistrées en 1741 augmenta de plus de 45 % par rapport à l’année précédente, tandis que le chiffre des baptêmes chuta de 34 % à Notre-Dame.
Le mouvement annuel des baptêmes ne redeviendra ascendant qu’en 1743, preuve que la crise affecta profondément la classe d’âge procréatrice (les 20-49 ans).
La situation démographique guingampaise rétablie, son maintien à un niveau satisfaisant ne dura pas : de 1748 à 1789 (terme de notre étude), les habitants de la cité subirent les assauts répétés de la maladie.
La seconde moitié du xviii e siècle : une succession de crises L’observation attentive des courbes paroissiales permet de distinguer onze « clochers » de mortalité se manifestant en 1748, 1754-55, 1758-62, 1767-68, 1770, 1772, 1773-75, 1779-80, 1784, 1786-87 et 1789.
En 1748, la maladie (variole voire dysenterie) frappe les nourrissons et enfants de moins de dix ans : à Notre-Dame, ils fournissent environ 55 % du total des décès enregistrés.
L’accident démographique de 1754-55 intervient après des récoltes en 1753 jugées seulement « comme suffisantes pour la consommation du pays » , c’est-à-dire que le transport des « grains » en dehors de la Bretagne n’était pas recommandé.
Il semblerait cependant que le surplus de décès observé traduise, une fois encore, une maladie contagieuse visant en priorité les plus petits.
En revanche, la « crise » de 1758-1762 a pour origine une épidémie de typhus.
La maladie fut introduite en 1757 par des militaires de passage à Guingamp .
De nombreux soldats et matelots décédèrent à l’hôpital.
Parmi eux, l’Anglais Thomas Bradrigle, matelot de « L’Elizabet » mort le 21 avril 1757, et Pierre Joly matelot du vaisseau « le Glorieux » décédé le 22 décembre suivant.
Ces hommes appartenaient à des équipages contaminés en mer à la suite de conditions de vie à bord très difficiles (promiscuité confinant à l’entassement, hygiène déplorable, nourriture souvent insuffisante) et qui, débarqués à Brest pour la plupart, répandirent la maladie sur leur route .
Guingamp était particulièrement exposée et fut effectivement grandement touchée.
De nombreux matelots mourront encore dans la cité en 1758 et 1759, ainsi que des soldats en 1759 et 1761.
Des familles entières furent décimées comme les Le Hardy à Sainte-Croix en 1760 et les Courtieux à La Trinité en 1761.
Mais il n’est pas dit qu’ils succombèrent tous au typhus, la dysenterie s’ajoutant à ce dernier en 1759.
C’est d’ailleurs en novembre-décembre 1759 et janvier 1760 que se situe la pointe de mortalité la plus significative de la période 1758-1762.
Les personnes âgées de « 50 ans et plus » et les jeunes enfants de moins de dix ans furent les principales victimes.
De même en 1767-68. « La rigueur de l’hyver » n’y fut sans doute pas étrangère, ni « les pluies continuelles pendant les mois de juin et juillet » 1768 qui ont pu favoriser le développement de la dysenterie et de la typhoide.
Notons qu’en septembre, les Guingampais craignant que « les pluyes excessives et continuelles » ne causent « la perte totalle des bleds et de la recolte desja bien endommagée » , ils demandèrent à avoir « recours a des prieres et a des processions publiques » , et notamment « qu’on allât principallement a l’eglise de Notre Dame de Grace dans l’intercession de laquelle cette ville [témoigne] une confiance particuliere » .
Le léger surplus de décès en 1770 intervient dans un contexte économique général difficile en Bretagne.
En mai, les commissaires des États de la province évoquent « l’epuisement général [de] cette Province […] par la disette absolüe de toute espèce de grains » et informent de « la misere […] extrême dans [les] villes, et sur tout dans [les] campagnes dont la plûpart des habitants infortunés, réduits au désespoir, sont privés des aliments les plus nécessaires à la vie » .
Le prix du « Bled sarrasin » (qui constitue « la principale nourriture du peuple » ), « ordinairement modique, est devenu excessif » et « la faim acheve de depeupler les campagnes déjà ravagées par des maladies épidémiques » .
Les villes ont aussi leur place dans ce tableau apocalyptique car la disette ne s’y fait pas moins sentir, même si à Guingamp la situation n’est pas aussi noire.
Les rôles de capitation fournissent quand même cette année-là une liste de 163 pauvres auxquels il faut ajouter une dizaine de « contribuables à la capitation, dont on ne [peut] tirer les impositions » , parce qu’ils sont réduits à l’aumône.
La mort, frappant surtout dans les premiers mois de l’année puis en août, est peut-être une résurgence de la crise précédente.
L’épidémie (de dysenterie et de typhus) est endémique dans la seconde moitié du xviii e siècle et peut refaire surface à la moindre occasion.
En 1772 la maladie contagieuse, plutôt qu’ « une cherté considerable » des vivres et surtout des céréales, fait beaucoup de victimes parmi les personnes âgées.
Elle s’apparente à des « fievres ardentes, fluxions de poitrines, peripneumonies, angines [et] cephalalgies opiniatres » .
Son intensité s’atténue à Guingamp en 1773 (en mai, la maladie est « presqu’entierement detruite » ), mais pas dans les paroisses rurales environnantes telles que Plésidy, Pont-Melvez et Plougonver.
En 1774, la maladie revînt en force à Guingamp.
En juin, la cité comptait « beaucoup de malades qui [avaient] besoin de pressants secours » et « le nombre des pauvres les plus necessiteux de la ville [était] considerable » .
La contagion s’était réactivée dès décembre 1773 et tua jusqu’en juin de l’année suivante.
Elle se manifestera encore fin 1774 et fera des victimes tout au long de l’année 1775.
L’état de la place publique avait sans doute sa part de responsabilité : le 9 décembre 1774, les hommes de la communauté de ville reconnaissaient la nécessité urgente de refaire la place parce « qu’il s’y forme des cloaques et qu’il s’y fait des retenues d’eau et d’immondices qui decoulent des canaux [et] qui aboutissent sur les rues et rependent des exhalaisons propres a occasionner des maladies contagieuses » .
La crise démographique de 1779-80 est due à la dysenterie, apparue à la fin de l’été 1779, et qui affecta toute la subdélégation guingampaise (et d’autres de Bretagne ) : en octobre, 1 000 à 1 200 pauvres en étaient atteints.
En 1779 à Notre-Dame, le curé recensa le décès de 111 hommes et garçons et de 101 femmes et filles, soit un total de 212 morts au nombre desquels 19 matelots, 4 soldats et 50 enfants (filles et garçons) disparus au cours des mois d’octobre, novembre et décembre « où la dissenterie [fit] le plus de ravage » .
À la fin novembre à Plouagat-Châtelaudren, plus de 400 personnes en étaient malades.
À ce moment là, plus de 150 paroissiens avaient reçu les derniers sacrements et environ 72 étaient morts depuis la fin août.
À Guingamp, l’arrivée en garnison en septembre-octobre de plusieurs compagnies de dragons du régiment d’Orléans avait certainement contribué à aggraver les choses, plusieurs soldats étant malades.