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En octobre suivant, la peste frappe à son tour, obligeant la communauté à prendre des mesures pour aider et soulager les malades.
C’est ainsi par exemple qu’en novembre 1627, elle dépensa 30 L 16 s « tant pour pain viande chandelle potz que prises cadenatz et autres […] fourniz pour traicter nourir et medicamenter les pauvres mallades de contagion » .
La peste disparut en janvier 1628 mais revînt en force à la fin de l’année 1629.
Le mal fut sans doute contracté à Rennes, où il régnait alors, par des Guingampais.
C’est de cette manière que l’on peut interpréter la disparition de Janne Jégou « vivante espouse de noble homme Yves Loguello sieur de Cozmouster alloué de la jurisdiction de Guingamp » : elle mourut « de peste non congneue du commencement » le 17 septembre 1629, après avoir été rendre visite à son fils François Loguello étudiant à Rennes, décédé peu avant « de maladie de peste non congneu que par la suilte » de ceux qui « contracterent ladite maladie par l’avoir [le jeune homme] visité […] et frequenté » .
Ce n’est pas un hasard si l’acte de sépulture du garçon figure dans les registres de Notre-Dame alors qu’il est mort à Rennes et a été inhumé dans l’église Saint-Germain : il s’agit de montrer qu’il est à l’origine de la disparition de plusieurs Guingampais inscrits à sa suite dans le registre.
Un an plus tard, la peste règne de nouveau à Guingamp.
La première victime, âgée de 26 ans, est « Catherine Maüiouan » qui décède le 23 septembre 1630, laissant « l’air infecté de peste de laquelle ensuilte plusieurs [furent] emportéz » .
Le fléau qui s’abat sur la cité est très meurtrier : à partir du 2 octobre, le desservant de Notre-Dame cesse d’enregistrer les « noms des decedez » , cela « pendant trois mois […] la peste regnant » .
Même « les baptisteres faictz pendant deux mois et demy [à partir du 30 septembre 1630] n’ont esté […] rapportes obstant que celuy qui les marquoit pendant ce temps la fut suspect [de peste] ».
Une délibération du 29 octobre avance le chiffre de 55 malades.
Parmi eux, le portier et ses enfants.
Il fallut donc faire appel à des particuliers « pour en partie fermer les portes de la ville » et « aider à porter à boire et à manger avec les servantes aux malades et suspects » .
À peine disparue, la peste réapparut presque aussitôt en mai 1631.
Durant tout le temps de l’épidémie (jusqu’en juillet), la communauté dépensa 1218 L 14 s 6 d « pour la nouriture et entretiennement des pauvres mallades de contagion en ladicte ville et forsbourgs de Guingamp tant en pain vin viande poisson foin paille chandelle et autres mesmes commoditez que mesme pour le sallaire des chirugiens et autres personnes qui [furent] imploréz a secourir et traiter lesdicts mallades » .
Mais la peste n’était pas la seule source d’inquiétude de la population guingampaise : l’ombre de la disette, voire de la famine, planait sérieusement.
Les récoltes de l’année 1630 avaient été si mauvaises que dès mars 1631, les autorités s’étaient enquises « de la quantité […] de bledz oultre leur provision » détenue par les « eclesiasticques gentilzhommes marchands et aultres » .
À Guingamp, seuls François Le Goff, Pierre Allain, Phelippe Uzille et Jean Stefnou possédaient des stocks de grains, les autres paroissiens n’ayant « de bledz au dela de ce qui peult suffire a leur provision d’icy a l’aougst ».
À Morlaix, également frappée par la peste, la situation de crise suscitera un début d’émotion populaire, les habitants acceptant mal l’embarquement, le 3 juin, de 25 à 30 tonneaux de froment par « le nome Dandisolle marchand gascon » alors que les récoltes avaient été insuffisantes.
La peur d’être affamée poussa une « populacze » de 5 à 600 personnes à se regrouper autour de la maison de ville « a dessein d’y faire esmotion populaire et d’y sacager […] les plus notables habitantz de ladite ville » . « Quelques particuliers d’eyrance et comme desesperes d’entreulx ne craignantz Dieu le Roy ny sa justice » auraient même été jusqu’à menacer « d’aller convocquer les malades et suspectz de ladite maladie contagieuse estantz tant au part au duc Sainct Meleine qu’en la Roche de St Martin pour faire infecter et contaminer tout le general de ladite ville » de Morlaix.
D’août à octobre 1632, la petite vérole emporta plusieurs jeunes enfants.
En septembre 1639, la peste refit son apparition mais progressa lentement : c’est « seulement » début novembre qu’elle commença « a se glisser en quelques maisons particulieres en ladicte ville » , comme chez Constance Derrien dont le mari et la fille furent atteints de contagion.
Cette nouvelle épidémie de peste fut l’occasion d’abandonner « le loge que l’on avoit trouvé précedemment au lieu et couvent des peres Jacobins [et qui] estoint pour lors ruynées et desmollyes » , pour une « maison [plus] désante » « pour mettre les suspects et mallades de contagion » : le lieu de Mesanfouer .
L’épidémie fut cependant beaucoup moins meurtrière qu’en 1630-1631.
Ainsi, Guingamp fut relativement épargnée sachant que la Bretagne a connu en 1639 la plus grave épidémie du xvii e siècle (la peste associée à la dysenterie fit des ravages au sein de la population ).
Ce n’était pas la première fois que les Guingampais connaissaient un sort plus enviable que celui de bien d’autres habitants du diocèse de Tréguier (et de la Bretagne en général) : déjà en 1638, ils avaient échappé au « mal contagieux » qui régnait à Morlaix, notamment parce que les hommes de la communauté avaient fait « chasser les mandians de l’église sans néantmoins user de violences » (on ne voulait prendre aucun risque avec des individus dont on ignorait souvent la provenance et qui se déplaçaient de ville en ville) et nommé des paroissiens « pour se tenir aux portes de cette ville afin d’empêcher les suspects de contagion d’y entrer » .
Les murs d’enceinte jouent ici le rôle de cordon sanitaire.
Ils sont l’ultime rempart susceptible de faire obstacle au mal et de stopper net son avancée.
La peste recommença à tuer en septembre et octobre 1640 mais le nombre des morts demeura modeste.
À la fin de la contagion, il fallut à nouveau « desairer et nettoier le bastiment de Maizanfoar » .
Pourquoi la maladie, toujours latente et prête à frapper même avant 1623, a-t-elle engendré une mortalité plus importante au cours des années 1625-1640?
Les conditions climatiques furent parfois à l’origine de l’épidémie et de la disette : 1626 fut très humide, 1639 une année de grande sécheresse.
Toutefois, le lien de cause à effet n’est pas systématique car l’année 1627, autant « arrosée » que 1626, n’a pas donné lieu à une épidémie aussi virulente et tueuse.
En revanche, le lien entre maladie contagieuse et récoltes est avéré : en causant la perte de presque tout le seigle (à la base de la fabrication du pain), les fortes pluies de 1626 ont provoqué une insuffisance alimentaire dont la population fit les frais.
Ce rapport entre climat et récoltes explique aussi la fréquente apparition de l’épidémie à l’automne ou au début de l’hiver, à une période de l’année déjà rigoureuse en temps normal.
En certaines occasions – et pas seulement dans les années 1625-1640 – le manque d’hygiène a aussi favorisé l’apparition et la propagation de l’épidémie .
Régulièrement, la communauté exige des habitants un semblant de propreté dans les rues de la ville : en février 1611, elle fit « commendement à tous ceux qui [avaient] des attraits et fumier sur les pavés de cette ville, de les retirer dans huittaine a peine de confiscation avec deffenses d’y en mettre à l’avenir » ; en novembre 1626, l’arrivée imminente du maréchal de Thémines obligea les Guingampais à « netoyer les rües et les pavés sur peine d’amende » .
La venue d’une personnalité avait donc du bon mais le « visiteur » parti et les festivités terminées, l’habitude reprenait vite ses droits.
Les rues ne tardaient pas à être de nouveau jonchées de saletés en tous genres et il fallait un nouvel « événement » – une procession générale par exemple – pour remédier (provisoirement) à cette situation.
Des personnes jetaient à même la rue ordures et excréments, sans se soucier des passants éventuels .
Signalons qu’en avril 1710, l’Hôpital de Guingamp « n’ayant [toujours] point de latrines ni lieux communs » , on jetait « les immondices vis à vis de la porte de la salle des pauvres » .
De cette façon, des « méchants airs » incommodaient les pauvres et les passants.
D’autres paroissiens se débarrassaient de leurs immondices en les jetant par dessus les remparts, dans les douves de la cité.
Ajoutons que la ville close, qui en 1643 renfermait environ 150 maisons, était fort peuplée.
La promiscuité était réelle et, en période de contagion, contribuait à multiplier le nombre des victimes.
C’est pourquoi la maladie à peine détectée, les bourgeois (nombreux dans la ville close) fuyaient la cité et n’y revenaient qu’une fois tout risque de contagion dissipé.
N’oublions pas non plus les animaux (domestiques et d’élevage) laissés en liberté : ils vagabondaient un peu partout, à tel point que le 21 octobre 1712, Jan Le Leizour recteur de la Trinité et Vincent Bellec « fabrique en charge de ladite eglise » durent interdire « aux habitants de la rue de la Trinité de laisser vaguer leurs porcs et cochons » trop souvent présents « dans l’église [et le] cimittiere de ladite parroisse » .
Il faudrait aussi évoquer les foyers au sein desquels plusieurs individus – des enfants notamment – dormaient dans le même lit ou se servaient des mêmes ustensiles les uns à la suite des autres sans les nettoyer avant usage.
Comment s’étonner alors que des familles entières (ou presque) furent décimées à l’occasion de telle maladie contagieuse?
Pour autant, seule la crise de 1630-1631 a ralenti momentanément l’essor de la natalité, celle-ci ne reprenant sa phase ascendante qu’à partir de 1635.
La peste dut faire donc autant de victimes chez les 20-49 ans (catégorie d’âge procréatrice) que chez les jeunes enfants et les vieillards, proies habituelles de la maladie.
Si la période 1625-1640 fut difficile à vivre pour les Guingampais, les deux décennies suivantes furent moins dramatiques. 1641-1667 ou le retour à un certain calme Guingamp, et plus généralement la Bretagne, fut épargnée par les grandes mortalités mais connut quand même quelques « petites » contagions sans grave conséquence.
Ainsi de novembre 1641 à janvier 1642 : c’est peut-être la peste, sous-jacente à Guingamp depuis 1640 ; elle touchera d’ailleurs peu après en 1642 la population léonarde de Ploudalmézeau .
De même en 1647, les enfants de moins de 10 ans représentant à eux seuls plus de 46 % des décédés.
On ignore l’origine de cet excès de sépultures.
En 1652-1654 ; signalons que le prix du boisseau de froment n’avait cessé d’augmenter de 1650 à 1652 pour atteindre à cette date un niveau toujours inégalé au début des années 1660.
Faut-il y voir les signes avant coureurs d’une disette?
En 1661-1663 survient une crise, communément appelée crise de l’Avènement.
À Guingamp, elle frappa sévèrement les nourrissons et d’une manière générale les enfants de moins de 10 ans.
Des difficultés frumentaires semblent en être à l’origine.
Le 29 août 1662, la communauté de ville déclarait que la cité était « remplie d’un nombre de pauvres des environs et parroisses voisines qui [cherchaient] leurs subsistance attendu la disette généralle » .
L’afflux des malheureux était tel que, craignant les désordres, on délibéra que « le sieur mair traitera avec dix particuliers gens de mains auxquels il donnera a chacun la hallebarde pour estre deux des dits particuliers mis et placés à chaque porte de la ville pour empécher l’entrée aux pauvres des parroisses voisines, auxquels gardes le sieur mair payera vingt sols par jour » .
Les hommes de la communauté devaient en priorité penser aux « pauvres et artisans de cette ville » qui souffraient, et leur porter secours.
Cette aide se traduisit par la remise « touttes les semaines a messieurs les vicaires et recteurs de cette ville et fauxbourgs [d’] une somme de deniers pour distribuer de la part de cette communauté dans les familles les plus necessiteuses » .
Ce soutien financier dura peut-être jusqu’au retour à la normale au printemps 1663.
Le 20 janvier 1665, le Guingampais Pierre de la Grève écrit que « les nouvelles de ceste ville » sont « pour le presant fort tristes, à raison des precedantes maladyes qui [commancent] à reprendre leur cours appres avoir cessé quelque temps » .
On ignore s’il s’agit de la dysenterie mais, à la date où Pierre de la Grève rédige sa lettre, « la mort a puis les six moys ravy un advocat et cincq procureurs » du barreau, et menace d’emporter messires « Kerrohan et dom Gilles Boessy […] fort malades » .
Il y aurait même « plus de cent malades dans la ville et faubourgs » , ce que le bourgeois guingampais a « peine a croire » tant cette estimation lui parait effroyable.
On peut néanmoins penser qu’il y eut finalement plus de peur que de mal : l’année 1665 ne compte pas vraiment davantage de morts qu’en temps normal, même si le sous-enregistrement des sépultures oblige à la prudence.
La conjoncture des années 1641-1667 était donc propice à une natalité soutenue et à une nuptialité de bonne facture.
Mais l’approche de l’année 1670 constitue un tournant.
À Notre-Dame, les baptêmes semblent atteindre leur plus haut niveau en 1666.
À partir de 1667, la natalité paraît stagner un temps jusqu’aux alentours de 1677, avant de fléchir légèrement.
Un timide redressement intervient après 1691, mais le nombre des baptêmes se maintient ensuite, n’évoluant guère dans un sens ou dans un autre jusqu’en 1789.
Il est vrai que la fin du xvii e siècle est marquée par deux grandes crises démographiques (autour de 1685 et vers 1693-1695) qui viennent ternir la bonne tenue d’ensemble des années 1641-1667.
Une fin de siècle morose Alors que rien ne l’annonçait vraiment, des difficultés apparaissent à Guingamp à l’approche de 1685, comme un peu partout en Bretagne mais à des degrés divers selon les endroits.
Les registres paroissiaux font état de décès qui peuvent laisser croire à une contagion : à la fin de 1686 dans la paroisse Saint-Sauveur, une famille Le Floch est décimée en l’espace d’un mois.
Il n’est pas impossible que la maladie soit apparue à la faveur d’une récolte un peu moins bonne que prévue ou à la suite de l’hiver rigoureux de 1683-1684 (caractérisé par une abondance de neige, même en bordure des côtes) qui provoqua la disette du poisson voire de certains légumes .
Les dernières difficultés du xvii e siècle apparaissent essentiellement autour de l’année 1695 à Guingamp, d’abord en 1693-1694 puis en 1697.
La situation de crise dont témoigne la courbe paroissiale longue en 1694 semble traduire une difficulté de type agricole mais elle ne prit jamais l’apparence de la famine, contrairement à ce qui se passe hors de la province au même moment : la variété de sa production céréalière a permis à la Bretagne d’affronter les années 1692-1694 et d’échapper à l’épidémie, souvent accompagnatrice de la crise de subsistances.
Guingamp n’a donc pas trop souffert de la crise de 1693-1694.
D’ailleurs, c’est à peine si les registres de délibérations y font référence.
Mais cela ne signifie pas qu’elle est passée au travers de toutes les difficultés : le doublement voire le triplement du prix des grains a précipité dans la misère des habitants qui vivaient petitement.
En février 1695, plusieurs maisons avaient été saisies et vendues, d’autres se trouvaient sans fermiers ni locataires.
Quant à l’accident démographique de 1697, il s’explique peut-être par la médiocrité des récoltes en 1696 et un climat peu favorable l’année suivante : 1697 fut une année froide et pluvieuse, donc nuisible aux récoltes.
Bien que les registres paroissiaux guingampais pâtissent du sous-enregistrement des sépultures (et peut-être des baptêmes) jusqu’en 1717, on devine la croissance démographique de la cité au cours du xvii e siècle.
Le rapport des moyennes annuelles de baptêmes à Notre-Dame entre 1601-1620 et 1681-1700 ne le dément pas.
La méthode est certes sommaire et critiquable (car appliquée à une seule paroisse, qui plus est urbaine, donc soumise à des migrations qui faussent le mouvement long de population), mais on remarque que sur un espace temps identique (20 ans), le nombre moyen annuel des baptêmes a été multiplié par deux (2,25 exactement).
Hormis la peste de 1630 et dans une moindre mesure la crise dite de l’Avènement en 1662-1663, les crises de caractère agricole et/ou épidémique furent rarement mortelles pour les 20-49 ans, la disette et la maladie emportant surtout les jeunes enfants et les personnes âgées.
La natalité ne fut donc jamais vraiment mise à mal, mais son essor tout au plus momentanément ralenti.
Plusieurs éléments favorisaient celui-ci.
En premier lieu, l’âge au mariage des femmes : elles se marient en moyenne entre 26 et 27 ans alors que les hommes attendent 30 ans.
Cet âge moyen au mariage peut apparaître sensiblement plus élevé que celui généralement observé ailleurs en Bretagne ou dans d’autres provinces au xvii e siècle.
Mais précisons que seul le quart environ des mariages à Notre-Dame a été pris en compte , ce qui rend toute conclusion hasardeuse.
La fécondité était assez élevée.
Les familles nombreuses étaient fréquentes, notamment au sein de la bourgeoisie et de la noblesse.
Les couples comptant une dizaine d’enfants baptisés (les registres paroissiaux contiennent des actes de baptême et non de naissance ) ne faisaient pas figure d’exception.
Elie Le Brun et Mathurine de la Grève, Yves Le Trividic et Jeanne Jourin, Yves Ansquer et Marguerite Huby, Pierre Calais et Marguerite Gaultier, Pierre Jourin et Elisabeth Le Dantec, Ollivier du Bourblanc et Marguerite Thomas ou Yves Chaillou et Renée Le Chevoir pour ne citer qu’eux, en témoignent.
Ces familles étaient d’autant plus chargées d’enfants – même si certains disparurent dès leur plus jeune âge – que l’intervalle intergénésique était relativement court.
Pour les couples cités à l’instant, la moyenne de cet intervalle se situe entre un an et demi et deux ans, ce qui ne surprend pas dans un milieu social où les nourrissons, aussitôt venus au monde, sont confiés à la nourrice.